[Chroniques en vrac] Litige – En Eaux Troubles / Pilori – A Nos Morts / Police Control – s/t EP

Ca fait plus de neuf semaines maintenant que le monde, à l’exception de certains secteurs réellement ou dits essentiels, s’est un peu figé. Pour autant, pas mal de groupes ont eu la bonne idée d’aller s’enfermer en studio quelques mois auparavant et sont aujourd’hui en mesure de nous livrer les fruits de ces sessions. C’est parti pour notre troisième vague des disques du confinement, qui ne concerne, c’est assez rare pour être souligné, que des groupes à chant français.


LitigeEn Eaux Troubles (Destructure Records)

La machine à tubes lyonnaise s’est remise en route pour nous livrer le successeur de l’excellent Fuite En Avant, qui sort une fois encore chez la maison-mère du punx hexagonal, Destructure. Fidèle au principe du dessin en noir et blanc avec une touche de rouge, le groupe rhodanien met en avant le rapport de force femmes/hommes dès la pochette, et annonce d’emblée une des thématiques récurrentes des paroles que la chanteuse est désormais connue pour développer depuis maintenant 2015. Le combat continue sur ce nouveau LP, et on peut même dire qu’il s’intensifie. Les textes, justement, se font plus explicites et évoquent avec moins de filtre et d’enrobage un peu perso l’oppression masculine d’un côté (« Bulldozer », « Nique Tout ») et la réponse radicale à y opposer de l’autre (« Guerrière », « Samouraï »). Les thématiques plus intimes sont toujours présentes mais de façon plus épisodique, et on les retrouve dans « Sortir Du Passé », « BFF » ou le point fashion « Casual Tonight ». Car l’ambiance même d’En Eaux Troubles est elle aussi plus mordante, et tranche avec le punk assez poppy du Litige qu’on connaissait jusqu’alors. La recherche mélodique du côté de la guitare est par exemple plus poussée, et les leads qu’on peut trouver dans « Regardez Moi », « Guerrière » ou « Nique Tout » viennent insuffler de la mélancolie dans des compositions qu’on pensait plus enjouées. Pour le côté sucré, on pourra encore compter sur la voix badine et détachée de la chanteuse toujours capable, entre deux gueulantes plus saccadées, de lâcher un refrain (« Bulldozer ») ou tout un morceau (« BFF ») aux airs chantants rapidement indélébiles, en jonglant sur ces deux registres un peu comme le faisait Kathleen Hanna dans Le Tigre. Mais malgré tout, ce nouvel album des lyonnais.ses reste moins pop et développe dans ses riffs des accents plus sombres (« Regardez Moi », « Nique Tout ») ou plus frontaux : certaines suites d’accords, dénuées des petites rythmiques sautillantes habituelles et aux velléités belliqueuses plus affirmées, trouveraient sans souci leur place chez un groupe de oi! (le quatuor a d’ailleurs eu la bonne idée d’y coller des choeurs sur « Samourai » et « Mickey Club »). C’est donc un Litige toujours catchy qu’on retrouve sur ce disque, mais qui met cette efficacité au service d’une détermination et d’un spleen assez palpable sur pas mal de morceaux. Leur punk-rock sur ce coup-là, en écho aux combats féministes qu’il défend, ne tourne plus autour du pot et met plus franchement les pieds dans le plats, quitte à mettre de côté les rengaines un peu plus légères. On n’y perd pas au change.


PiloriA Nos Morts (Terrain Vague, Abyssal Cult, APB Records, Bad Moon Rising, Black Omega Recordings, Coups de Couteau, GRF Records, Loner Cult Records, Shove Records, Suspended Soul Records, Ugly and Proud Records,BRC30 Productions et Khya Records)

A force de tourner et d’ouvrir pour pas mal de pointures crust-black et hardcore metal dont ils se rapprochent en terme de style — on y reviendra — les rouennais semblent avoir noué pas mal d’amitiés et fédéré un important réseau de structures DIY internationales, puisque ce ne sont pas moins de treize labels aux origines diverses et variées (USA, Taïwan, Serbie, Tchéquie, Belgique…) qui s’associent pour sortir ce LP. La participation de certains membres du groupe à Terrain Vague, collectif œuvrant notamment à semer la peur dans la capitale normande en y bookant les groupes les plus réputés de la scène dite « chaotique » — ainsi qu’en sortant les disques de groupes locaux, dont celui-ci — n’est peut-être également pas étrangère à la mobilisation de cet important réseau. Et, pour finir de spéculer sur les raisons à l’origine de cette coproduction à rallonge, il est possible que le fait que cet A Nos Morts soit un excellent album ait pu jouer également. On connaissait le quatuor pour être très bon sur scène (lire ici), mais force est de constater avec le recul qu’on n’était que peu revenu sur les deux titres certes déjà bons de leur split avec Dakhma. Ce premier LP risque de tourner un peu plus souvent, puisqu’il voit Pilori franchir un cap. La production nettement plus costaude met davantage en valeur le blackened-crust ici servi, avec l’adoption de la saturation HM2 pour la guitare, la saturation terrifiante de la voix accentuant la portée mortifère des textes (procédé également observé chez Fange, dont on retrouve d’ailleurs le chanteur en featuring sur « Poursuite Du Vent », alors que celui de Full Of Hell apparait sur « Que La Bête Meure »), et une batterie bien charnue dont l’important travail sur l’insertion de tapis de double-pédale et de blasts éclairs est pour beaucoup dans la violence complexe qui se dégage de l’album. Car la pléthore de genres dont se réclame le groupe n’est pas usurpée, et l’amoncellement de ces influences crust, black, grind, death, hardcore fait de chaque morceau un écheveau avec pour seul fil conducteur la brutalité la plus impitoyable. Même l’interlude-titre « A Nos Morts » ne doit pas être prise comme une respiration à proprement parler tant ce monologue de guitare dégoulinant maintient malgré une densité sonore moindre un certain degré d’oppression. Du reste, entre les blasts blackisant (« La Grande Terreur », « Sous Mes Mains », « A La Recherche Du Temps Perdu »), les up-tempos crusty (« Divine Comédie », « Danse Macabre ») et les moshparts plus lourdes ou plus groovy (« Poursuite Du Vent », « Lorsque Viendra La Nuit »), Pilori dispose d’un éventail d’instruments de torture bien plus agressifs que celui qui a donné son nom au groupe, et qui les place entre le crust noir de Cult Leader, le hardcore teinté de holy terror de Trap Them et le black-metal de This Gift Is A Curse. Des références variées que les rouennais réussissent à empiler grâce à un certain talent d’écriture où se mêlent riffs délayés à la bétonnière, urgence dissonante et arpèges déliquescents. Quitte à trouver quelque chose de négatif, on pourra regretter que les deux morceaux « A La Recherche Du Temps Perdu » et « Danse Macabre », chacun conclus par des riffs à la répétition lancinante, soient placés à la suite alors qu’ils auraient gagné à être séparés pour refermer chaque face du disque. En dehors de cela, A Nos Morts reste une franche réussite et ne devrait pas avoir trop de mal à se tailler une place dans les tops de fin d’année au rayon hardcore.


Police Controls/t EP (Croque Macadam, Requiem Pour Un Twister)

Malgré le souvenir pas franchement impérissable (ou alors pas vraiment dans le bon sens du terme) que nous a laissé ce duo guitare-batterie parisien tout juste formé lors de son passage au Zinc de Poitiers, on ne l’a pourtant jamais perdu de vue. Ca nous a permis de ne pas passer à côté de leur EP Sentimental, qui proposait une power-pop british à la The Jam/The Only Ones tempérée par des accents dandy déjà bien affirmés, nettement plus inspirée que le rock Téléphoné un peu bancal servi sur une première Demo posant des bases dont le groupe n’a fait que s’éloigner depuis. Ce nouvel EP confirme en effet une marge de progression exponentielle, et constitue l’évolution la plus significative de Police Control. Si, en se fiant à la voix placide qui flotte sur ces trois titres, on peut être à peu près sûr que le chanteur de Skategang est toujours aux manettes du projet, difficile de déterminer la configuration complète à l’origine de ce 12″, si on trouve la même batteuse derrière les fûts, si un troisième membre s’occupe des synthés qui font leur apparition et participent à rendre méconnaissable la musique des franciliens. Le minimalisme caractéristique est toujours présent, au travers de riffs en trois notes, de lignes de batterie réduites au strict minimum kick/snare/charley, et de ce chant aux variations flegmatiques entêtantes. Mais celui-ci est mis au service d’une pop bien plus sage et sophistiquée, marchant dans les pas des minets chics des 80’s françaises, croisant la route du post-punk le plus épuré de la même époque. L’influence de Daho, tant dans les mélodies vocales apathiques que dans les textes au romantisme fragile, est assez évidente. Autant que le synthé en formica, dont les bip-bip kitch piquant en pointillé les accords trainants hérités du 154 de Wire, pourront évoquer Jacno et tous ses rejetons. Maitrisant la formule couplet-refrain-pont-outro sur le bout des doigts, Police Control part de motifs qui tapent de base dans le mille, et les rend petit à petit addictifs en les faisant progresser de façon presque imperceptibles par l’ajout d’arrangements astucieux. Après une pause systématique sur chaque morceau, le groupe enfonce le piston de la seringue jusqu’au bout, et achève de faire de chacun de ces trois tubes une dose dont on ne décroche pas facilement. C’est vrai sur la face A comme sur la B, occupée par « Chute Stationnaire » qui assume encore plus franchement les penchants synthétiques observés sur « Noyés » et « Cet Été », et voit les claviers danser nonchalamment sur un tempo sautillant, sous les delays grondants de la guitare. Après deux précédentes sorties marquant déjà un net progrès, Police Control a avec cet EP franchi un cap et, en actionnant des ficelles vieilles de plus de trois décennies, pris à son compte une formule minimaliste qui les rend imparables. Si les parisiens continuent sur cette lancée et passent au long format, on peut s’attendre à une belle avalanche de tubes.


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