[Chronique de disque] Sec – Que Chaque Jour Soit Dimanche

QUE CHAQUE JOUR SOIT DIMANCHE cover artSorti le 1er novembre 2014 sur A Tant Rêver Du Roi

Dans le giron d’une scène à la croisée de la noise et du free-jazz — dont j’ai récemment parlé en raison du passage à Poitiers d’un de ses représentants les plus talentueux, Chromb! — le nom de Sec revient de façon régulière, et s’associe le plus souvent sur des affiches alléchantes aux tenanciers du genre, qu’on ne manquera d’ailleurs pas de retrouver au cours de ce Que Chaque Jour Soit Dimanche. Incitation à la paresse, ce titre ne reflète néanmoins pas la démarche musicale du disque, qui s’avérera, nous le verrons, d’une richesse qui ne doit certainement rien à l’oisiveté. Il traduit cependant un certain hédonisme politiquement marqué, et fort bienvenu, à l’heure où la scène indépendante hexagonale, outre son indépendance justement, ne se mouille pas beaucoup de ce côté-là. Autant donc dire qu’un groupe qui affiche dès sa présentation quelques petites punchlines ressemblant bien à un « va chier! » lancé à la gueule du capitalisme, et qui place son album sous licence Creative Commons méritait bien une petite chronique.

Ne réduisons tout de même pas Sec à son militantisme. Rappelons que la France Entière (dont j’ai eu la surprise de voir sur la pochette du présent disque qu’ils étaient justement potes avec Sec), malgré un engagement plus qu’évident (trop d’ailleurs, certainement) n’avaient pas franchement obtenu les suffrages de l’équipe du zine. Non, si vous lisez ces lignes, c’est avant tout parce que le duo basse-batterie à l’origine de cet album est capable avec 4 cordes, 4 futs et 4 cymbales de démultiplier les possibilités offertes par ce schéma instrumental, afin de vous happer dans un parcours marqué par l’excentricité et un fort sentiment de liberté créatrice.

Il faut dire que les deux sudistes savent s’entourer, afin d’enrichir encore un peu plus leur noise imprévisible. Le sax’ de Chromb! vient ainsi résonner sur « La Galère », déjà joliment introduit par les choeurs du Racing Club de la Cendraille reprenant à pleins poumons « le Galérien« , chanson populaire écrite par Maurice Druon (aussi à l’origine du « Chant des Partisans ») qui donne son titre au morceau, mais aussi à l’album qui en emprunte un vers. « 3334 » (dont le titre traduit à lui seul les propensions de Sec à déglinguer la partition) réunit pour sa part, notamment, le même Antoine Mermet from Chromb! ainsi que Benjamin Bardiaud, d’Ultra Zook et Pryapisme. Ces feat. ponctuels viennent donc habiller une ossature de base comprenant une basse bien en avant, qui sonne un peu comme celle de Mosca Violenta (ou globalement comme celle de tous les groupes où la 4-cordes n’est pas seulement là pour donner de la profondeur à la guitare), et une batterie déroulant souvent ses patterns sans s’embarrasser de plus que le strict snare-kick-charley. « Chocopuff », entre à-coups tout en urgence et tension binaire, nous montre d’entrée où on met les pieds : dans un labyrinthe d’ambiances qui s’enchaînent au gré de signatures rythmiques reliées entre elles à la va-vite, à coups de masse dans les murs. Si « Barbatofu » vous fera ultra-zouker de bout en bout à grand renfort de synthés sautillants et que « Run Away », cette course folle d’à peine deux minutes, portera très bien son nom, le reste des titres se construira de façon moins linéaire, passant par les points Q et J afin de vous faire rallier les points 1 et 2. Et bien que les secondes parties de « La Galère » ou de « Bonjour je, » montrent la capacité du duo à créer des ascensions progressives, par paliers marqués, Sec a quand même globalement pété la boussole. Avancées fulgurantes, reculades intempestives, pauses en mode « on est où là? », retours à la case départ, voici le parcours qui vous attend à l’écoute de cet album.

Amateurs de courses d’orientation balisées, passez donc votre chemin. Ou alors, apprêtez-vous à sortir des sentiers battus et à emprunter des pistes escarpées sans checkpoint, sans repères autres que ceux fixés par les deux columérins. Autant donc vous attendre à de belles embardées, tant la noise qui est ici servie vous bringuebalera dans tous les sens, tout en faisant l’économie des panneaux de signalisation. Si la tension reste paradoxalement le fil conducteur de Que Chaque Jour Soit Dimanche, celle-ci se meut à travers des schémas infiniment variés, de la lourdeur la plus binaire aux fulgurances cahotiques, qui se succèdent de façon abrupte sans s’empêcher de déboucher inopinément sur quelques moments d’euphorie bienvenus, soutenus par des rythmiques plus sautillantes et des lignes de basse plus légères. Sec propose donc avec cet album un tracé complexe dans lequel il fait bon se perdre. Une voie rapide pleine de nids-de-poule et sans glissière de sécurité, où vous trouverez toujours une main secourable pour vous remettre en selle en cas de sortie de route. Comprenez une noise rugueuse que des accents math viennent alambiquer, quand ce ne sont pas — et ça ne leur plaira pas — quelques incursions à la limite du free-jazz qui perchent le tout à 3m au dessus du sol. De quoi largement excuser « … », une conclusion sous forme de tripotage sonore expérimental de 12mn qui fleure bon le remplissage. Ce devait vraiment être dimanche quand il a été composé, celui-ci.

Que Chaque Jour Soit Dimanche, c’est si tu n’as rien contre Ultra Zook, Kouma ou Chromb!.


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